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Fragmentation

Un mot résume la vision probable du futur : FRAGMENTATION. Nicolas Tenzer1 qui emploie aussi ce mot lui préfère le mot « DESEQUILIBRE » (repris une centaine de fois dans son livre « Le monde à l’horizon 2030 »). En effet, le mot qui caractérise le monde actuel est bien déséquilibre et peut être, en 2030, ce seront encore les déséquilibres qui qualifieront le mieux l’état du monde. J’en doute. Vu du côté de la consommation, plus il y a de déséquilibres plus il faut de l’énergie et des moyens pour équilibrer, ce qui se traduit mécaniquement par l’augmentation du PIB. Et ainsi, on va vers un PIB mondial toujours plus important, mais au détriment de réserves et d’équilibres toujours plus fragiles. Nous avons déjà franchi de nombreux seuils et à un moment le Seuil sera franchi.

Si encore aujourd’hui ce qui caractérise en apparence le monde est le mot déséquilibre, dans l’invisible, la fragmentation est à l’œuvre. Le monde moderne puis post moderne, tirent leur force de la fragmentation car leur fonctionnement est basé sur la spécialisation et la séparation, la façon d’obtenir toujours plus de rendement même si c’est au détriment du vivant et de la diversité, c’est-à-dire à l’insu de tout ce qui est organique et complexe. Aujourd’hui et à l’horizon de 2030, ne serions nous pas en train d’arriver à l’épilogue du processus de fragmentation ?

Tant que les systèmes vivants et complexes étaient en abondance et en bonne santé apparente ou vue comme telle, les résultats obtenus par les déséquilibres et la fragmentation masquaient les conséquences de ce fonctionnement, mais aujourd’hui, la « coupe est pleine ou vide selon l’angle de vue »…

Les deux guerres mondiales auraient dû remettre en cause ce modèle de fonctionnement, mais cela a plutôt généré l’inverse. Et si 1968 a sonné le glas de la société de consommation car depuis, le doute s’est insinué et a progressé sur la validité et l’intérêt de ce mode de vie, cela n’a pas réussi à l’arrêter car peu de personnes depuis cette époque ont pu, ou su, exprimer ce doute et surtout être entendues. La consommation a même accéléré exponentiellement depuis 1968 et la mise en place de la post modernité, accélération qui continue encore aujourd’hui avec toujours plus de déséquilibres et de fragmentations.

Comment et pourquoi ce système est-il encore soutenu ou au moins toléré par la majorité des hommes sur terre ?

Car ce qui n’est pas encore complètement fragmenté, c’est le mythe et le moteur du système : le progrès synonyme de meilleur. Ce mythe est bien attaqué, mais il résiste.

Il résiste parce que sans doute, « il se prend » pour la totalité.

Prenons des exemples pour clarifier en quoi « il se prend » pour la totalité et « rions » un peu :

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Le progrès nous promet des réponses à tout… Aujourd’hui, on voit les conséquences de toutes ces promesses… J’aime bien la Castafiore dans Tintin qui rit de se voir si belle. Mais la réalité frappe à la porte et demande des comptes. Les professeurs Tournesols sont devenus tous fous et les Tintins se font rares. Et alors, quel avenir, quel scénario probable ?

Ce ne seront ni les religions, ni les crises, ni les guerres, ni les intégrismes, ni les nationalismes, ni les régionalismes, ni les cataclysmes et tous les « ismes » qui mettront à genou le mythe occidental. Un, voir tous ces acteurs cités auront certainement une participation active à cet écroulement. Mais le coup de grâce sera donné de l’intérieur, par les excès et la surchauffe du système. À l’heure où j’écris ces pages, il ne se passe pas un jour, ou presque sans l’annonce de quelque chose qui s’écroule en rapport avec le château de sable du modèle libéral. Il y a de nombreux murs dans ce château, avec de nombreuses mains pour se précipiter et essayer de reboucher les trous. Mais même si les enfants que nous sommes ne voyons pas la marée monter, nous sentons bien que le château est en train de prendre l’eau et que c’est inexorable. Nous savons tous que la marée finit toujours par avoir le dernier mot. Et que font-ils les enfants quand le château est englouti ?

Ils partent et ils l’oublient.

Quand la console de jeu et la connection Internet resteront muettes, rares seront ceux qui se battront pour les maintenir en vie. Ce que certains voyaient comme la nouvelle révolution et comme le nouveau changement d’ère pourrait ne pas faire long feu. On pourrait penser que j’en suis satisfait. Pas du tout. La métaphore du château de sable a le parfum d’innocence de l’enfance, mais il faut s’attendre plutôt à un syndrome du style, «les rats quittent le navire »… Et les rats emporteront avec eux ce qu’ils peuvent, c’est-à-dire une partie du navire mais jamais la totalité. Faisons un point à ce stade de l’histoire : le moment où le modèle occidental se serait effondré. Serait-il «aidé» voire accéléré dans cet effondrement par des évènements extérieurs ?

Peut-être. Peut-être que la terre aura généré des cataclysmes en même temps ou avant ou après que le modèle occidental s’effondre. Ce qui caractérise notre monde high tech c’est la fulgurance de son ascension et mon intuition me porte à croire que sa chute se fera comme son ascension. Je ne crois pas comme certains au choc des civilisations car aujourd’hui, en réalité, il n’y a plus qu’une seule civilisation, celle du capitalisme néo-libéral. Dernièrement, j’entendais à la télévision un politicien français très connu dire « le néo-libéralisme s’est fini, plus aucun gouvernement n’écoute ses sbires depuis la crise de 2009 ». Quel cynisme !

Qui gouverne aujourd’hui, les politiques ?

Obama, le président américain est-il réellement le chef et le décideur qu’il devrait être ?

La voracité des marchés s’est-elle atténuée après la crise de 2009 ?

Si les libéraux se font en effet plus discrets, le système libéral a-t-il lui, perdu du terrain depuis 2009 ?

Le totalitarisme libéral dans son aveuglement rappelle l’aveuglement d’Hitler et des nazis qui ne pouvaient pas se voir autrement que vainqueurs. Ils se pensaient capables de toujours trouver des solutions et de retourner n’importe quelle situation. Ce n’est que quand tout a été détruit autour d’eux qu’ils ont vu la réalité, réalité qu’ils n’ont pas admise pour autant, car ils ont tenté de tout anéantir avec eux. Même si dans chaque pays il y a des ilots de résistance, le capitalisme néo-libéral a tout englobé et ce n’est que de l’intérieur, en commençant par chaque individu, que peut naître autre chose et il faut se dépêcher.

Il faut se dépêcher, car une fois le modèle effondré et la pénurie devenant l’immense problème du moment, je crois plutôt au « choc des voisins » qui face à la rareté se battront pour acquérir l’essentiel, quitte à faire preuve de violence et utiliser la force contre ceux qui hier étaient des proches. Pourra-t-on alors parler de civilisation et de monde cultivé ?

Il faudra bien avoir anticipé avant la chute de notre civilisation des réelles solidarités et des relations conviviales quoi qu’il advienne, sinon la barbarie sera partout et pour tous.

La théorie que j’avance ici est celle que la société de consommation s’effondrera avec ou sans action extérieure à elle. C’est le propre de tout système totalitaire de finir par s’auto détruire si les choses extérieures à lui ne l’ont pas produit avant.

Dans quel délai ?

Très certainement avant le milieu du XXI ° siècle et ce pour trois raisons principales :

1/ La pression aveugle et incontrôlable de plus de deux milliards d’habitants pour rentrer dans le modèle de société de consommation alors que les réserves sont déjà insuffisantes pour ceux qui en profitent encore.

2/ La conviction que nous ne sommes pas assez sages pour bénéficier d’une mansuétude du destin avec par exemples la mise à disposition d’une énergie illimitée via le système de fusion nucléaire ou l’hydrogène et l’aboutissement de nanotechnologies toujours moins gourmandes en matière et énergie pour fournir à tous les humains le mode de vie moderne.

3/ L’accélération des catastrophes naturelles, avec en réaction les famines et les migrations.

Ma vision de l’avenir n’est pas réjouissante… Je l’assume, car je suis sceptique sur nos capacités actuelles à restreindre l’écroulement. Nous sommes une civilisation qui n’est pas dans la demi-mesure et qui a beaucoup de mal à faire marche arrière, ralentir, se poser, écouter, dialoguer.

Si les choses s’écroulent, arriverons-nous à garder des choses valables en rapport avec ce monde moderne ?

Je ne sais pas ce qui pourra être sauvegardé du monde actuel. Les choses sauvegardées seraient celles qui gardent du sens dans le contexte de vie à venir. Dans un monde qui reviendrait à la dimension des localités et des régions, qui gardera à l’esprit de communiquer avec les habitants de l’autre côté de la planète ?

Peu de monde, malheureusement… Qui entretiendra des systèmes « d’intelligence collective » avec les systèmes d’informations qui vont avec, pour avancer dans la recherche et maintenir nos acquis scientifiques s’il n’y a pas en place des réseaux et groupes humains aptes à accueillir et faire fructifier ce type d’apports ?

Le monde moderne nous aura fait toucher du doigt la « civilisation monde », la possibilité de donner du sens à la notion de « terre patrie », la possibilité de crédibiliser un humanisme universaliste, la possibilité d’être coresponsable avec la terre de l’entretien et l’épanouissement des espèces. Notre technologie est quelque chose de très positif à bien des égards. Notre culture dans presque tous les domaines est un trésor inestimable. Mais si la survie matérielle devient l’enjeu majeur de la seconde moitié du XXI° siècle, il faut s’attendre aux retours des régions, des clans et des tribus.

La notion de Terre-Patrie2 s’éloigne… Dans un tel contexte, l’histoire nous prouve qu’on est alors dans le « mauvais moyen –age », c’est-à-dire entre deux âges civilisés. La fin de l’empire romain a plongé l’Europe et une partie du bassin méditerranéen dans un monde assez barbare et inculte pendant plus de six cents ans voire beaucoup plus selon les critères.

« L’empire moderne » c’est autre chose que l’empire romain formé des régions autour du bassin méditerranéen. « L’empire moderne » c’est la terre et l’humanité dans son ensemble. Je ne sais pas si son moyen age sera proportionnel à celui qui a suivi les Romains, mais c’est une éventualité.

Il n’y a pas que des sombres perspectives dans ce scénario d’avenir probable : le rapprochement, au départ forcé, des hommes pour subvenir à leurs besoins de bases pourrait créer de nouvelles formes de solidarité et de convivialité. Si la population est moins nombreuse et avec moins de moyens matériels, le rapport au temps et à l’espace changerait et ne serait plus associé au conflit, à la compétition et à la prédation comme il l’est aujourd’hui.

Pour reprendre un terme inventé il me semble par Boris Cyrulnik, « la résilience », un contexte de vie tout autre que celui d’aujourd’hui, permettrait de faire émerger chez les « rescapés » de nouveaux moyens encore inimaginables aujourd’hui et la conscience que certainement, c’était le monde d’avant (le nôtre aujourd’hui) qui était difficile à vivre et non le leur. Et si le scénario réel pour les temps à venir se passe comme je viens de le décrire, il est encore plus temps de proposer un scénario à tenter. Ce sera pour un prochain article…

1 Nicolas Tenzer, Le monde à l’horizon 2030, Perrin, 2011.

2 Edgar Morin, Terre-Patrie, Seuil, 1993,1996 et 2010, (pour les préfaces).

Changer d’R

Je reprends les termes suivants inspirés du livre1 d’Edgar Morin et Patrick Viveret quand ils évoquent l’enjeu d’un triple changement :

–       Changement d’ère, besoin d’une humanité plus humaine

–       Changement d’aire, les problèmes qui se posent sont à résoudre à la fois à l’échelle planétaire et à l’échelle locale.

–       Changement d’air, les questions d’écologie, d’environnement et de rapport à la nature nous conduisent à nous ré enraciner dans nos terroirs locaux avec ses lois et ses rapports au temps.

Par quel changement commencer ?

Faut-il commencer les trois changements à la fois ?

À quelle échelle et avec qui ?

Ces questions centrales préfigurent le choix d’un chemin pour l’avenir. Le chemin qui va être décrit est un chemin particulier, celui que j’ai pu imaginer et le fruit de mes expériences et observations. Je suis convaincu qu’il y en a bien d’autres. L’essentiel, c’est d’arriver à bon port, n’est-ce pas ?

Donc de mon point de vue, il faut commencer par un changement d’ère, en agissant concrètement sur le terrain des deux autres types de changements (aire et air).

Pourquoi ce choix ?

Car si au centre des choses on ne place pas le fait de chercher à être plus humain, je doute que la force de convergence soit capable dans le temps de supporter les assauts des forces divergentes, des intérêts personnels et particuliers, surtout dans un monde marqué par la pénurie (notre monde à venir). Concernant l’échelle de ce changement, il s’agit de lancer des projets pilotes, donc de commencer à une petite échelle et en fonction des expériences acquises, des résultats et des possibilités d’abord humaines, d’envisager d’essaimer.

Par qui ?

Avec tout le monde. Mais, pour commencer, avec les deux populations qui sont à la fois les plus proches et les plus éloignées aujourd’hui : les citadins jeunes et adultes et les agriculteurs qui, pour la plupart, sont assez âgés. J’imagine donc un double mouvement pour s’orienter dans un changement d’ère et pour qu’une greffe prenne :

Un premier mouvement venant de citadins faisant l’effort de changer leur mode de vie de l’intérieur (il s’agit fondamentalement d’oser la quête d’équilibre entre vie prosaïque et vie poétique) et en investissant du temps et des moyens dans la formalisation de projets à la campagne pour une autre vie fondée sur de nouvelles bases. Dans ce changement de vie, il est d’abord capital que chacun trouve, retrouve, sa part poétique, son don naturel. D’autre part, il ne s’agirait pas de quitter définitivement la ville et s’installer à la campagne. Ce pourrait être le cas pour certains, mais pour beaucoup, on peut imaginer une période de transition entre ville et campagne, voir une situation permanente à cheval entre les deux, tant que les villes et l’organisation du monde actuel sont viables.

Un deuxième mouvement venant d’agriculteurs et d’hommes de la terre capables de renouer avec leur générosité naturelle pour accueillir ces citadins et capables de retrouver la patience qui les caractérisait pour former les citadins à la campagne et aider à les ré enraciner dans un terroir. Ce sont ces hommes de la terre qui sauront faire germer les graines citadines. Ils auront eux aussi à apprendre et à reconnaître qu’ils ont perdu leur artisanat et leur folklore et donc leur fertilité culturelle. Ils ont besoin de la greffe des citadins, ils ont eux aussi à réapprendre. De ce double mouvement devraient naître de nouvelles pousses, une nouvelle vie, de l’espoir. Des épreuves, des difficultés, des sourires et de l’entraide.

Aujourd’hui et depuis un certain temps, il y a déjà une forme d’exode de citadins vers les campagnes. Mais mon constat est que la plupart de ces personnes ont placé au centre de leur démarche le changement d’air et non le changement d’ère. Ce qu’ils vivaient en ville, ils finissent par le reproduire à la campagne où leur temps devient principalement dédié à la survie de leur modèle de changement d’air. Certes, il y a des contacts avec les autochtones mais cela reste en surface, ils ne s’imprègnent pas de l’âme du pays et des gens qui y sont enracinés. Il y a toujours des exceptions, mais en général, la greffe ne prend pas.

Il y a aussi le cas particulier des régions où la désertification des campagnes a été si marquée que les citadins qui s’y sont installés se retrouvaient presque seuls. Là aussi j’ai pu constater qu’il manque un lien à l’âme du pays, une capacité à s’harmoniser dans le paysage.

Prenons un exemple : ce couple avec deux enfants qui a réussi à acheter une ferme. Après cinq ans de travaux, quelques aides des voisins, le lieu est devenu habitable. Madame a lancé la fabrication de pains bios et Monsieur essaye de se faire connaître comme menuisier. Cinq ans de plus ont passé, ils ont réussi à s’équilibrer financièrement, mais « c’est serré ». Il faut beaucoup « bosser » pour s’en sortir. Ils ont de bons rapports avec leurs voisins avec qui ils s’entendent bien, mais ils n’ont pas trop de temps. Les voisins non plus n’ont pas trop de temps et ils ne sont plus très jeunes…

À ce couple, il me semble qu’il leur manque trois choses fondamentales :

– L’existence d’un réseau qui dès l’origine soutient leur projet en leur assurant des conditions de vie correctes. Ce peut être des associations écologiques locales, des réseaux types colibris ou terre de Liens, des personnes qui se sont engagées comme clients de leurs activités dès le début du projet (type AMAP).

– La place et du temps pour une vie culturelle importante et des échanges humains.

– Des relations de confiance, de confidentialité, de profondeur avec leurs voisins et les gens des villages avoisinants.

Ces trois choses fondamentales permettent de proposer une voie en trois étapes préliminaires sur comment faire pour que la greffe prenne pour un scénario viable dans le futur.

Les trois étapes préliminaires seraient :

1/ Un examen de conscience

2/ Se préparer à un changement de vie

3/ Formaliser l’orientation de changements de vie en projets concrets.

 

Première étape, un examen de conscience :

Pour les citadins comme pour les ruraux, cela consisterait, grâce à des rencontres, des échanges, des lectures et un temps conséquents de réflexion personnelle, à comprendre que notre mode de vie et ses moteurs ne sont plus viables et étouffent les vrais moteurs de vie tant au niveau collectif qu’individuel.

Pour les agriculteurs et habitants des campagnes, il faudrait particulièrement arrêter de voir les nouveaux venus sur leurs terres comme des étrangers ou des personnes à plumer. En d’autre terme, sortir de l’indifférence ou/et d’un rapport intéressé envers les citadins.

Après la compréhension de sa propre situation et celle du monde, il faudrait passer à l’acceptation : l’acceptation qu’on est accroché, addict (pour reprendre un terme à la mode) à des choses futiles, mercantiles et superficielles. L’acceptation qu’on est d’une certaine façon pollué, pas seulement physiquement mais psychiquement et mentalement par un mode de vie ambiant, des habitudes dégradantes qui alourdissent et désensibilisent à ce qui est subtil, poétique et fraternel.

Pour ces deux phases d’examen de conscience passant par la compréhension et l’acceptation, l’entraide avec des échanges tendant vers toujours plus de sincérité me semble être la clé pour que les rencontres avec soi-même ne se soldent pas par un abandon face à la tâche que représentent ces changements intérieurs. C’est là que des activités en rapport avec les changements d’aire (résoudre des problèmes à l’échelle du monde à travers des actions d’ONG par exemple et résoudre des problèmes locaux en rapport avec l’entraide et l’aspect générationnel) ou d’air (actions écologiques, actions d’entraides, travail avec des agriculteurs et des ruraux) me semblent particulièrement appropriées pour rencontrer des personnes partageant ce type d’aspiration et certainement plus aptes à vivre les échanges préfigurant un changement d’ère.

La deuxième étape serait de commencer à agir dans le sens de ce qu’a fait émerger l’examen de conscience, essentiellement la préparation à un changement de vie :

Pour amorcer un changement de vie, en règle générale cela demande du temps. La table rase est rarement adaptée et peu conforme au changement d’ère qui demande de semer des graines et comme le jardinier, les arroser patiemment, entretenir ce jardin. On pourrait penser que les ruraux sont mieux lotis pour cette étape, je n’en suis pas sûr. Il y a trop longtemps que pour la plupart, ils ne respectent plus la nature et ses cycles. Eux aussi auront à prendre sur eux et ré expérimenter la patience et l’amour des belles choses et bien faites. Il ne s’agit pas d’un retour à la campagne de la fin du XIX° siècle et la vie qui va avec, ce serait alors en partie un échec. Cette deuxième étape serait plutôt une phase féconde et expérimentale d’essais et de partages pour que le meilleur du monde moderne se mette au service du vivant et de la nature et que ce qu’il reste des racines et terroirs, alimentent l’imaginaire des citadins. Il s’agit d’obtenir une symbiose, à titre expérimental, entre ce que peuvent s’apporter mutuellement les citadins et les ruraux.

Enfin, la troisième étape préliminaire serait de formaliser ces changements de vie en projets concrets tant au niveau individuel que collectif. En effet, quand les citadins et les ruraux auront appris à se connaître et s’apprécier dans leurs différences, quand leurs finalités seront claires et partagées, alors pourront naître quelques réels essais d’éco-lieux pour leur donner un nom.

Pourquoi tenter ce genre de projet seulement en zone rurale et ne pas le tenter dans les villes ?

Car le fonctionnement des villes s’appuie sur des apports essentiellement externes à elles, apports gérés à l’échelle nationale et régionale. D’autre part, tant que la finance est le facteur premier dans la manière de gérer l’occupation des sols en milieu urbain, cela ne permet pas d’envisager d’investir dans la mise en place de jardins maraîchers et de petites fermes de proximités à l’échelle adéquate pour une réelle autonomie. Plus tard, bientôt, quand le monde sera un monde de pénurie, ce ne sera pas dans les villes qu’on trouvera l’autonomie. Et si certains y arrivent ce sera soit par le vol et les pillages, soit par la force avec pour se protéger et garder « ses richesses » des châteaux-forts modernes entourés d’enceintes en béton et de grilles électriques.

Prenons l’exemple de la région parisienne qui est particulièrement significatif de la fragilité de notre système : en ce qui concerne la nourriture, on sait que cette région ne peut tenir que trois jours sans approvisionnement. Ensuite, elle passe en pénurie car ses terres agricoles n’assurent même pas le dixième nécessaire à son autonomie. Cela veut dire qu’au bout d’une semaine sans approvisionnement, au moins neuf millions de personnes manquent des denrées de base et doivent envisager de migrer vers de meilleures destinations si tant est qu’elles existent. Cette description alarmiste est vérifiable. Elle est le fruit d’une politique de course à la rentabilité où les stocks sont gérés au plus court. D’autre part, le coût d’achat du m2 monte progressivement aux abords des villes et rend prohibitif le maillage de jardins et d’habitats dans les villes à l’échelle souhaitable pour l’autonomie alimentaire.

Enfin, les campagnes sont devenues des lieux d’agricultures industrielles et spécialisées par régions avec des monocultures et mono élevages. En cas d’écroulement du système, elles non plus ne sont pas autonomes. D’où la nécessité vitale de relancer dans les campagnes des lieux ayant comme première finalité l’autonomie dans l’alimentation, dans l’éducation et dans les activités culturelles.

Ces trois piliers sont la base nécessaire à l’épanouissement des individus dans leur diversité, base à laquelle on doit rajouter une orientation marquée par le respect et la recherche d’harmonie avec l’environnement. Si en parallèle ou par la suite, ces lieux s’orientent pour obtenir ou au moins tendre vers l’autonomie dans les domaines de l’énergie, des services sociaux, médicaux et sanitaires, de la justice, de la sécurité et du travail, une nouvelle forme de civilisation peut s’envisager. Si ce scénario à tenter de réseaux d’éco-lieux arrivait à prendre de l’ampleur, on pourrait alors démontrer qu’une symbiose des hommes avec l’ensemble du vivant est possible dans notre monde actuel et peut-être inspirer pas seulement les citadins mais les villes elles-mêmes. Dans l’organisation et l’utilisation de l’espace, on chercherait la juste densité en tenant compte à la fois des intérêts généraux et particuliers et en plaçant au centre les intérêts atemporels plutôt que les intérêts matériels. Cela nécessiterait une réelle gouvernance mondiale, axe d’un arbre où les nations et les régions seraient ses branches et ses feuilles et non des entités sous tutelles ou en rebellions.

Si à partir de1968 et avec la décennie qui a suivi, le monde avait déjà les outils pour aller vers cette civilisation monde, peu d’hommes occidentaux avaient cette clairvoyance. De plus, ils n’avaient pas le pouvoir d’agir pour changer de cap face au rouleau compresseur de la société de consommation. Les années ont passé et si de plus en plus de personnes ont pris conscience de l’impasse du monde marchand, la plupart sont restées au stade de la constatation.

Ces personnes n’approuvent pas la direction de notre société, mais n’agissent pas ou ponctuellement, comme on le fait pour une action de charité dominicale et ainsi se donner bonne conscience. Ou alors, elles agissent en réaction, en étant contre certaines choses, sans arriver à formuler d’autres choses pour lesquelles elles sont pour et où elles pourraient s’investir. De tels comportements créent à la longue des dichotomies et des nœuds dans les consciences. Rien n’est inexorable et j’ai confiance sur le fait que ces dichotomies et ces nœuds peuvent se résoudre.

J’ai proposé précédemment trois étapes pour résoudre ces problèmes avec notamment la première étape, l’examen de conscience. Il me semble important de revenir sur ce sujet pour conclure, car sans un sincère examen de conscience, aucun scénario à tenter ne résistera à l’épreuve du temps, des doutes et des fluctuations inévitables dans une telle aventure. En plus de comprendre et accepter qu’on est « addict » à des choses futiles, mercantiles et superficielles, il me semble incontournable de se poser aussi la question de pourquoi on est « addict » à ces choses secondaires ?

Mon analyse sur le sujet est que cela demande à chacun de s’interroger sur la façon dont il gère ses peurs. La peur de la mort, la peur des changements, la peur de ne pas être à la hauteur, la peur de souffrir, la peur de perdre, la peur d’exprimer ses sentiments. Tant de peurs virevoltent en et autour de nous. Ne faut-il pas accepter de passer par certaines peurs avant que d’autres peurs, qui elles ne dépendraient pas de nous, nous assaillent ?

 

1 Edgar Morin, Patrick Viveret, Comment vivre en temps de crise, Bayard, 2010.

Graines de 68

Graines de 68

Les images d’Epinal sont courantes pour cataloguer cette époque : des lanceurs de pavés sur des barricades à Paris, des hippies dans les champs fumant l’herbe qu’ils ont joyeusement piétinée. C’était quoi, 1968 ?

En apparence et comme l’opinion publique l’a perçu, de la contestation, des envies de libertés, de paix, de musique, d’amour libre. Et une vague qui semble s’arrêter net : la fin des contestations, la fin d’une quête de liberté pour tous, remplacées par la liberté pour chacun dans ses choix, son image et ses idées. 1968 et les années soixante-dix marquent aussi le passage dans l’histoire où les écosystèmes, les cultures, la diversité, le bonheur pouvaient être encore régénérés sans trop de pertes et blessures et où des solutions s’entrevoyaient, capables de concilier modernité et tradition. Au lieu de cela, le fonctionnement consumérisme illimité a accéléré exponentiellement à partir de cette époque, détruisant irrémédiablement, ou au moins pour très longtemps, ce qui pouvait encore être préservé.

Avec le recul, 1968 sonne comme un avertissement, une tentative pour réorienter le monde et la société vers plus d’humanisme. Ce sont les étudiants qui les premiers amplifieront cet appel. Pourquoi n’ont-ils pas été entendus réellement ? Pourquoi leurs aînés ont-ils été si peu nombreux à saisir le sens profond de cet appel et n’ont-ils répondu positivement qu’à l’aspect superficiel de ce message, libérer les mœurs ?

Le poids du souvenir des guerres mondiales, le poids du communisme pour ceux qui étaient derrière le rideau de fer, l’impression de bonheur avec l’explosion des objets matériels dans la vie courante, l’impression d’être toujours plus autonome avec ces voitures, ces avions, ces télévisions, ces téléphones et ces ordinateurs. Tout cela n’a pas aidé les générations plus anciennes à remettre en cause leurs choix de vies comme le suggérait l’appel de 68. Difficile en effet de résister à de telles sirènes et se dire qu’il faut revoir le modèle, que cela n’a peut-être pas de sens si la vie se résume aux bienfaits matériels. Difficile d’imaginer en 1968, les conséquences sur la terre, le vivant et les hommes du fonctionnement de la société de consommation. Difficile mais non impossible, et certains ont saisi le sens que l’histoire aurait du prendre pour ne pas aller dans le mur.

Morin, Illich, Castériodoris, Lovelock, Pelt, Rabhi, Iribarne, Shumaker, les Meadows, des étudiants révoltés, des groupes de hippies, ont été de ceux qui dès 1968 et parfois avant, pressentaient le monde à venir et ont orienté leurs recherches et leurs actions pour proposer d’autres solutions et tenter d’éveiller les consciences. Edgar Morin dès 1964 étudiait la population d’un village breton et notait comment le monde moderne s’insinuait dans les consciences et les comportements. Il signalait déjà les pertes à venir en termes de cultures et diversité, le problème du déracinement et du risque de table rase généré par la modernité. La fin des années soixante et le début des années soixante-dix ont été toutefois un moment très fertile dans de nombreux domaines.

Des nombreuses graines issues de cette période, beaucoup n’ont jamais pu être semées ou n’ont données que de maigres récoltes. Il me semble que c’est le moment de les identifier, les reconnaître et tenter de les semer à nouveau et avec l’expérience de plus de quatre décennies. Les « graines » présentées ici sont celles que de mon côté j’ai identifiées. Ce n’est pas exhaustif et ce n’est pas le but. Mon but ici est de démontrer que 68 et les années soixante-dix ont été comme un impact, le germe de choses très valables et qui méritent notre attention quand, plus de quarante années après et s’il n’est pas trop tard, on veut contribuer à proposer des formes de vie plus respectueuses et en synergie avec la nature et notre propre nature humaine.

Les graines :

Le Rapport Meadows en référence à deux de ses quatre auteurs, Donelle Meadows et Dennis Meadows, Jorgen Randers et William Behrens a été publié en 1972 sous le titre The Limits to Growth (Universe Books) et publié en français sous le titre Halte à la croissance ?

C’est la première étude concernant les dangers écologiques du modèle de croissance économique et démographique, modèle né avec l’ère industrielle. Ce rapport, s’il a créé beaucoup de controverses, il a eu aussi le mérite de commencer à attirer l’attention sur la responsabilité de l’homme sur la planète et les écosystèmes. James Lovelock avec le concept de Gaïa en 1973, a émergé dans les consciences à partir du XXI° siècle. Les mouvements écologistes, la redécouverte et la compréhension des peuples racines, ont permis de relayer, de justifier et d’amplifier ses théories aujourd’hui reconnues. Pour aller plus loin, il faudrait que les peuples racines et les anciens des campagnes qui ont su garder les liens aux terroirs, soient mis à contribution pour sensibiliser, former à des attitudes et des perceptions plus subtiles à la nature, les citadins et les enfants. Edgar Morin avec notamment les notions de pensée du contexte et du complexe, de dialogique, d’anthropolitique, de vie poétique et vie prosaïque, d’évangile de la perdition, a touché un certain public, mais la connaissance de son œuvre est restée encore trop marginale de mon point de vue. Si ses idées touchaient le grand public comme les idées écologiques le font actuellement, l’impact sur le monde et les hommes serait peut être aussi fort que celui fait par l’écologie. Cela rendrait plus claire la possibilité d’une orientation de vie humaniste et pas seulement une orientation de vie plus verte.

Ivan Illich, avec son livre1 paru en 1973, « la Convivialité » est l’un des premiers à souligner l’importance du bonheur, ce qui le constitue et les risques de le perdre avec les dérives de la modernité (vitesse, spécialisation, isolement, mécanisation, production de masse illimitée).

Derrière lui, Iribarne a confirmé que depuis les années soixante-dix, l’augmentation du PIB n’était pas source d’augmentation du BIB (bonheur intérieur brut), bien au contraire.

Jean Marie Pelt a tenté, dès les années soixante-dix, de concilier écologie et urbanisme, vie moderne et vie respectueuse du vivant. Il a pu agir efficacement et trouver des relais dans ce sens, notamment dans l’est et le nord de la France mais c’est resté à une échelle relativement réduite. L’intérêt est d’avoir généré concrètement des modèles de mieux vivre2, qui aujourd’hui, commencent enfin à être reconnus et repris ailleurs.

Les mouvements hippies sont nés dans les années soixante du rejet des valeurs matérialistes et d’un besoin de liens plus fraternels entre les individus. Leur côté radical, une certaine inexpérience et le manque de cadre, n’ont pas permis à la plupart de ces expériences de perdurer ou alors en étant très marginalisées. On constate aujourd’hui via internet et certains sites, le retour de groupes cherchant à concrétiser des liens fraternels au delà de toutes appartenances particulières.

Les étudiants révoltés n’étaient pas que des lanceurs de pavés. Certains d’entre eux avaient saisi la tristesse du monde marchand et bureaucrate et ils n’en voulaient pas. Ils ont osé remettre en cause ce modèle et pendant un mois ont réussi à entraîner dans leur révolte une grande partie de la population active. Puis, faute de structuration et suite à la reprise en main de la situation par les gouvernants, le mouvement s’est essoufflé et s’est dilué. Les dernières révoltes dans les pays arabes et qui ont gagné l’Europe avec le Portugal, L’Espagne et la Grèce. Comme par hasard, 1968 est cité en référence, comme en 1968, ce sont les jeunes qui sont à l’origine de ces révoltes, comme en 1968, les peuples les soutiennent et les revendications partagées sont les mêmes qu’il y a plus de quarante ans. Les enragés sont maintenant des indignés, les sit in et teach-in3 sont maintenant des assemblées de quartier ou des « blogs ouverts ».

Pierre Rabhi, enchanteur enchanté devant la beauté de la vie, n’a eu de cesse depuis les années soixante dix, et toujours à contre courant du « fleuve en crue d’un monde qui ne sait où il va »4, de proclamer par des actes, la parole et l’écrit, son amour et son respect de la nature, marié à un humanisme de tolérance et de compréhension. Aujourd’hui, avec notamment l’association des Colibris et bien d’autres choses qui sont nées de son influence, il contribue à ce qu’on pourrait appeler une renaissance écologique, spirituelle et fraternelle. Les crises actuelles, la constance dans ses engagements, une certaine audience, la formalisation de projets dont il est à la source (l’association Colibris, la ferme agro écologique des Amanins, Le Hameau des Buis,etc), devraient permettre au courant de conscience qu’il représente un plus grand impact auprès des jeunes et des « indignés » en général.

Ernst Friedrich Schumacher avec son livre5 « Small is beautiful » sorti en 1973 part d’une critique du monde moderne et propose notamment des technologies intermédiaires, technologies qui sont accessibles à presque tout le monde, applicables à une échelle réduite et compatibles avec la place de l’homme comme individu qui s’épanouit par l’expression de sa créativité. L’intérêt est d’engager un processus où tradition et modernité puissent se conjuguer sans trop de radicalité, donc en tenant compte des différents contextes. Il est clair que cette approche respectueuse des diversités ne va pas dans le sens du fonctionnement des multinationales qui jusqu’à présent ont su par la manipulation des lois et des normes empêcher le développement de ces technologies.

Les années soixante et soixante-dix marquent aussi un retour des villages ou hameaux communautaires sous l’impulsion de groupes de jeunes hippies ou non. Ces villages ou hameaux, qui, de mon point de vue, et du point de vue de beaucoup d’autres, sont certainement les ébauches du modèle de vie à venir, ont aujourd’hui du mal à se maintenir ou à se créer. Certains ont bien résisté et sont cités en exemples pour leurs technologies vertes mais aussi leurs expertises dans des domaines très variés.

Ces graines de 68 qui pour certaines commencent à éclore, d’autres ont été oubliées, d’autres encore sont remises au goût du jour avec ce qu’on appelle maintenant « le printemps arabe » sont précieuses pour l’avenir du monde. Avec les évènements difficiles mais féconds de cette deuxième décennie du XXI° siècle, nous avons l’opportunité de planter les graines d’un monde meilleur.

Si ce n’est pas fait, je ne pense pas qu’il y aura une nouvelle chance avant longtemps. Il nous faut donc tirer les expériences des essais précédents, comme la période de 1968, et veiller à ne pas reproduire les mêmes erreurs pour ne pas tomber dans la marginalisation.

 

 

1 Ivan Illich, La convivialité, Seuil, 2003.

2 Jean-Marie Pelt, C’est vert et ça marche, Fayard, 2007.

3 E. Morin, C. Lefort, C. Castoriadis, Mai 68, La Brèche suivi de vingt ans après, Fayard, 1968, 1988 puis 2008, p. 252.

4 Pierre Rabhi, Manifeste pour la terre et l’humanisme, Babel Acte Sud, 2008, p. 13.

5 Ernst Friedrich Shumacher, Small is beautiful, Seuil, 1979.

Révolution

Ne m’en voulez pas, les indignés, les militants, les engagés à la cause de l’association Colibris. Mais la dédicace de l’association pour la prochaine année 2013 «la (R)évolution des Colibris » m’interroge. Et je vais m’expliquer. Certe, le « R » de révolution est entre guillemet, il reste le mot évolution… mais ce qu’on entend et on lit, c’est révolution.

Dans le texte de présentation de cette dédicace, l’expression « reprendre le pouvoir » est utilisée de nombreuses fois. Y est même précisé ce sur quoi reprendre le pouvoir : localiser l’économie, planter ce que nous mangeons, révolutionner l’éducation, réinventer la démocratie, économiser et produire de l’énergie (renouvelable). Tu ne vas pas chipoter sur un mot me dit un ami. « Ce sur quoi et comment Colibris veut reprendre le pouvoir, c’est bien ».

Oui c’est bien, mais les mots et plus particulièrement certains, peuvent se charger d’une portée symbolique, attirer et influencer bien au-delà de ce que l’on souhaite. Nourris d’un langage d’extrême gauche sans être pour la plupart membres des partis et syndicats représentatifs de cette tendance, les étudiants de 1968, surtout en France, étaient plus révolutionnaires que revendicateurs. Et ceux qui les ont suivis oscillaient entre révolution et revendications. Je ne souhaite pas rentrer dans le débat de faut-il faire la révolution et quelles sont les choses qu’on pourrait revendiquer ?

L’histoire nous prouve que révolutions et revendications non seulement ne permettent pas l’avènement du monde meilleur souhaité, mais plutôt renforcent ce qui avilit l’homme et le monde : la table rase, les rapports de force, les exploitants et les exploités, la perte de racines.

Edgar Morin dans son livre 1« Mon Chemin » explique pourquoi il a abandonné le mot révolution : « J’ai abandonné le mot « révolution », qui a été réduit à ses formes violentes et qui a été souillé par les régimes communistes. Je crois de plus que l’on ne peut révolutionner que si l’on conserve, pas seulement notre patrimoine culturel et les valeurs humanistes héritées du passé, mais aussi la Nature, comme nous l’indique l’écologie… Le mot révolution me paraît non seulement perverti, mais insuffisant. C’est pourquoi je parle plutôt de métamorphose, laquelle conserve l’identité, mais en la transformant. »

Quant aux revendications, elles s’inscrivent dans le rapport institué entre syndicats ou représentants de salariés face aux directions d’entreprises et aux structures politiques. Revendiquer, c’est jouer le jeu du système marchand, c’est complètement hors-jeu en ce début du XXI ° siècle où le problème majeur est de sortir de ce système marchand.

À la place des révolutions et revendications, ne serait-il pas plus opportuns aujourd’hui de s’orienter vers les ré enracinements, régénérations et renouvellements ?

Et pour reprendre l’image donnée par Pierre Rabhi, d’oasis à créer partout dans le monde, on doit bien avoir conscience d’être au milieu d’un désert, surtout dans les pays industrialisés, donc dans des conditions très défavorables à ces ré enracinements, régénérations et renouvellements.

Que faut-il ré enraciner, régénérer et renouveler ?

La liste est immense et concerne tout ce qui relève de la nature, des sociétés et du vivant. Mais il faut bien commencer par quelque chose ! Et mes choix ici relèvent plus du ressenti que d’une étude approfondie.

Concernant le ré enracinement, il me semble qu’il faut commencer par celui des citadins. Car sans eux et leur implication dans ce sens, je ne vois pas comment faire émerger une voie à tenter. Ils sont les forces vives des nations et des régions, mais ils manquent de racines. Fondamentalement ils doivent prendre du temps pour eux, se cultiver, examiner leur vie, le monde, les autres, oser vouloir se changer, retrouver des racines rurales, avec les pieds et les mains dans la Terre et plus que tout, ré enchanter leurs vies, y ré insuffler la vie poétique !

Ce qui est d’abord à régénérer est le sentiment religieux (dans le sens de ce qui relie et non dans le sens de religiosité) et la conscience écologique qui devrait être une conséquence du premier. Paradoxalement, la conscience écologique est en bonne voie de régénération. Concernant la régénération du sentiment religieux, là, tout reste à faire. Edgar Morin et Anne Brigitte Kern, avec la notion d’évangile de la perdition1, nous offrent une piste originale.

Et ce qui est fondamentalement à renouveler est la politique. Il ne s’agit pas de projet de parti mais plutôt de conscience politique à renouveler en chacun. Sans ce renouvellement, rien n’est possible. Cela passe par des actions politiques à l’échelle de villages, ou d’associations comme Colibris, ou de petits groupes, pour avoir une chance d’agir politiquement sans être obligé de s’impliquer dans les partis et institutions politiques en place.

Ce chapitre sur ce qu’il faut ré enraciner, régénérer et renouveler est un peu rapide. J’apporte les conclusions sans trop d’explication… Je le développerai à l’occasion d’un prochain billet.

Une autre réflexion sur le mot révolution :

Ce mot est-il en accord avec l’image d’un paisible colibris ?

Imiter la ruche avec ses abeilles et ses bourdons semble une stratégie plus adéquate pour les temps à venir, mais faut-il l’afficher ?

 

 

 

 

1 Edgar Morin, Mon Chemin, Fayard, 2008, p. 266.

1 Edgar Morin et Anne Brigitte Kern, Terre –Patrie, Seuil, 1993, 1996 et 2010, p. 231 à 234.

 

Florange versus Notre Dame des Landes

Florange, Notre Dame des Landes, le mariage gay, l’euthanasie, le calendrier scolaire, les impôts… Quel point commun ?

Le point commun quand on lit des articles ou l’on écoute des interviews sur ces sujets de Florange, Notre Dame des landes, le mariage gay, l’euthanasie, le calendrier scolaire, les impôts, et j’en passe… C’est la cacophonie, le manichéisme, des oppositions stériles et violentes, la bêtise … Rares sont les sujets en rapport avec le politique et la société qui ne tombent pas dans ces caniveaux… et ce n’est pas nouveau…

Ce qui me désole, c’est que ce mode de non-communication basé sur l’opposition et les rapports de forces domine autant l’échiquier mondial que les échanges de personne à personne quand le sujet concerné semble les opposer.

Vous, lui, moi, nous avons tous eu des échanges musclés sur des sujets ou nos points de vue divergent. Nous avons tous constaté que s’effacer pour faire bonne figure, ou pour rester dans une communication non-violente, c’était au fond retourner cette violence sur soi-même. Nous avons aussi constaté que laisser l’autre exposer son point de vue et vice-versa, n’était pas un gage de consensus. Nous avons aussi constaté que les décisions prises démocratiquement à la majorité peuvent souvent ne pas nous convenir et le temps nous donner raison…

« Ah ce p….n de facteur humain ! », expression fréquente qui sous son masque de dérision cache des tragédies à toutes les échelles. Edgar Morin nous dit « nous en sommes encore à « l’âge de fer de l’humanité ». Heureusement, des solutions sont à l’oeuvre comme la CNV (communication non violente), la sociocratie, la gouvernance écologique et intégrale. Mais ces solutions sont-elles suffisantes ?

Connaissez vous la dialogique ?

La dialogique est un mot inventé par Edgar Morin (encore lui). Il s’agit d’un mode de communication où l’on considère que les points de vue divergents voir opposés sont à « confronter positivement » pour faire émerger de nouvelles propositions, véritables opportunités pour qu’incarne en chacun une conscience supérieure. Avec cette méthode, les contradictions ne s’annulent pas, mais, en se mesurant, peuvent s’enrichir et où les contraires sont indissociables. Les échanges ne visent pas nécessairement à une synthèse unifiante, mais plutôt à dévoiler les impasses et les solutions d’un temps, tout en ayant conscience que les « vérités » et les « erreurs » évoluent avec le temps. La dialogique serait à promouvoir et à enseigner pour développer de nouveaux comportements sociaux, où pour un problème donné, chaque point de vue serait bienvenue, y compris et surtout, ceux qui s’opposent.

Imaginez un metallo de Florange et un actionnaire d’Arcelor Mittal se dirent « chouette, nous allons nous rencontrer pour mettre à plat nos points de vus, les comprendre mutuellement et alors décider de la marche à suivre par une solution que ni l’un ni l’autre n’avions imaginé séparément».

Ce petit plus de la dialogique, c’est le fait d’imaginer que ce qui est « l’étranger », ce qui est en dehors de ma sphère, mis en culture avec mon monde et mes idées, va faire émerger quelque chose que seul je n’ai pas accès et qui est justement la solution valable pour moi comme pour « l’étranger ». Lui (l’étranger) comme moi (l’étranger pour lui) en faisant ainsi, nous élargissons mutuellement notre champ de conscience, nous découvrons une autre plan où nous pouvons constater des affinités et des liens de parentés. Quel saut !

Un autre petit plus de la dialogique est que pour la pratiquer, lui comme moi, nous devons dépasser nos intérêts immédiats et personnels. Avec Copernic, il y a eu un grand bon de conscience envers le monde qui nous entoure. L‘intégration de la dialogique dans nos consciences serait le bon équivalent à l’intérieur de chacun. Imaginez nos politiques pratiquant la dialogique. Ils iraient se fritter sur les plateaux de TV en se disant « grâce à Machin, je vais découvrir quelque chose que je n’avais pas pensé, ni lui non plus. Nous allons ainsi progresser tous les deux et en faire profiter tous les autres ! »

Vous souriez en lisant ces lignes, vous imaginez mal un politique se remettre en cause, tout comme un metallo de Florange mettre en balance les choix sidérurgiques du point de vue de l’empreinte écologique avec ses intérêts personnels, ni un actionnaire d’Arcelor Mittal céder ses dividendes par solidarité envers le metallo.

En utilisant la méthode de la dialogique, j’ai posé à des personnes deux questions :

Y a-t-il un sens de l’histoire ?

S’il y a un sens de l’histoire, que nous propose-t-il aujourd’hui ?

Pourquoi ces deux questions ?

Car moi aussi je souris sur nos possibilités actuelles d’harmoniser les priorités de chacun et je cherche ce qui pourrait faire office de dénominateur commun autre qu’un écroulement de notre « société du progrès ». Tout le monde n’était pas d’accord sur la réponse à apporter à la première question, donc c’était un bon tremplin pour la dialogique…

En synthèse, il y a eu ces réponses aux deux questions :

Pour la première : les enjeux de l’histoire se sont éclaircis, mais dans l’ensemble, l’humanité continue à s’emballer vers d’autres directions. Le sens de l’histoire serait d’aller vers ces enjeux devenus évidents.

Pour la seconde : il y a l’enjeu d’une orientation de vie plus verte mais pas seulement. Il y a en plus la nécessité d’une orientation de vie humaniste doublée d’une conscience que la Terre est passée à l’échelle de village dont nous sommes tous coresponsables.

Si vous reprenez alors tous les sujets de Florange, Notre Dame des landes, le mariage gay, l’euthanasie, le calendrier scolaire, les impôts, en tenant compte des enjeux de l’histoire, les réponses deviennent plus complexes. En tissant ensemble les différents contextes, on voit bien que certains sont plus à l’ombre que d’autres, on voit mieux comment les croyances et cultures les colorient plus ou moins. Le juge doit céder la place au sage qui sommeille en chacun, et pour cela la méthode nous demande de lâcher prise et faire preuve d’authenticité.