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Soif d’idéal ?

Soif d’idéal ?

Vous vous souvenez en 1997 la chanson d’Alain Souchon « Soif d’idéal » ?

Oh la la la vie en rose
Le rose qu’on nous propose
D’avoir des quantités d’ choses
Qui donnent envies d’ autres choses
Aïe on nous fait croire
Que le bonheur c’ est d’ avoir
De l’ avoir plein nos armoires
Dérision de nous dérisoire, car

Refrain
Foule sentimentale
On a soif d’ idéal
Attiré par les étoiles les voiles
Que des choses pas commerciales
Foule sentimentale
Il faut voir comme on nous parle
Comme on nous parle……..

L’idéal rime avec le mot engagement. Un engagement issu de sa propre volonté et qui a la particularité d’être parmi nos engagements celui qui a le plus de valeur. L’idéal relève d’un pari : le pari qu’une idée abstraite puisse être un modèle pour éclairer et donner le sens de sa vie. L’idéal donne de la force et de l’enthousiasme, quand il nourrit les convictions et rend les hauts et les bas anecdotiques. Mais l’idéal peut aussi rimer avec fanatisme quand la rigidité s’immisce chez les personnes qui le portent, rendant leurs convictions exclusives. L’idéal peut côtoyer l’intolérance quand ceux qui s’en réclament s’imaginent en être les uniques porteurs, les seuls élus sur une voie considérée comme supérieure à toutes les autres. L’idéal peut être pris comme alibi pour justifier des violences et des guerres. Le XX° siècle en est la grande illustration et le XXI° siècle est bien parti dans le même sens.

Michel Lacroix dans son livre « Avoir un idéal, est-ce bien raisonnable ? »1 apporte un éclairage intéressant sur les idéaux qui ont fleuri du XVIII ° siècle à nos jours. Il en propose même des présentables pour les temps à venir dans sa tentative de réhabilitation des idéaux. En conclusion de son livre, il propose « un idéal fondé sur la tempérance et réconcilié avec le réel » (ne pas être l’idéaliste qui oppose la réalité sensible à la perfection de l’idéal, avec le risque de vouloir justifier les tables rases. Etre plutôt celui qui pense idéalement ET agit modestement). Il cite Ernest Renan, humaniste du XIX° siècle, comme père d’un idéalisme raisonnable, un idéalisme où le besoin de sacré s’exprime avec les idéaux du vrai, du beau et du bien, idéaux déjà prônés du temps de Socrate.

L’idéaliste, dans un monde de calculs, de cynisme et d’ambition est vu comme un marginal, un attardé naïf voir manipulé. Martin Hirsch dans son livre 2« La lettre perdue » nous le confirme : « le système éducatif et le système économique vont vous faire croire que grandir, c’est vous départir de votre idéal… Aux jeunes on apprend à être réalistes.. … On va vous persuader que le passage à l’âge adulte est le renoncement à votre idéal. De bonnes âmes, dans lesquelles vous avez confiance, vont vous aider à faire cette mue ».

Dans la même veine que Michel Lacroix, je vous propose d’embrasser un idéal. Un idéal qui à la fois vous est propre et est aussi, a été et sera le grand but de chacun d’entre nous. Un chemin, votre chemin, qui en le parcourant transforme vos doutes et vos errements en sagesse et en confiance. Ce chemin qui fait sens se cultive et s’incarne par tout ce qui nous rend meilleur et peut être constaté par d’autres, de tout ce qui, aurait dit Socrate, permet toujours plus de bon, de beau, de bien et de juste non seulement pour soi, mais aussi pour les autres, tous les êtres vivants et le monde. Cet idéal qui rend meilleur en s’en rapprochant ne peut-être exclusif. Au contraire, il apporte toujours plus d’ouverture, de tolérance et de capacités à intégrer les contraires sans tomber chez les « bisounours »…

Pour s’engager dans de telles voies, je suis tenté d’apporter quelques conseils… Cela ressemble au voyage d’Ulysse ou des Argonautes. Luc Bigé[3], dans son livre « La voie du Héros » nous donne, à travers les douze travaux d’Hercule, une synthèse des obstacles et des trampolines qu’on trouve sur ce parcours intérieur. Mais bien sur, il ne nous donne pas le parcours.

Alors, comment le découvrir ce parcours ?

Où sont les petites pierres blanches sur le sentier ???

Peut-être ces conseils pourraient vous aider :

– Chacun a son propre chemin.

– C’est un parti pris, mais, de mon point de vu, tous les chemins d’idéalistes convergent vers un même point. Un point qui est plus haut et qui éclaire plus bas. (L’idéaliste qui parcourt son chemin devient mieux éclairé lui-même, mais aussi contribue à éclairer son siècle, cela ne peut pas être dissocié même si au présent cela ne se voit pas).

– L’idéaliste qui parcourt ce type de chemin devient un exemple, même s’il a des défauts par ailleurs et dans la mesure où ses défauts ne prennent pas le dessus sur ce qui le grandit et lui donne son autorité.

– Tous les chemins d’idéalistes sont à contre courant de ce qui est facile, sans épreuves, ni obstacles.

– Aujourd’hui plus qu’hier, la notion de prospective concerne tous les idéalistes cars nous sommes à une époque charnière où le futur se précipite en accéléré mais reste encore inconnu. Nous avons besoin d’hommes et de femmes courageux capables de suivre leurs intuitions dans des voies que personne n’ose prendre.

– Si chacun a son propre chemin, le parcours ne se fait jamais seul. Il est ponctué de rencontres et d’échanges où les sages et les fous se côtoient.

– Si le parcours du sentier demande toujours plus de sacrifices et de détachement, cela ne peut se faire au détriment de ce qui sous-tend l’individu, ce qu’on pourrait appeler sa loi d’action, ni même en brimant la personnalité sous prétextes de mieux la contrôler. Ne pas brimer la personnalité n’est pas non plus laisser libre cours aux pulsions et prendre ses phantasmes pour des réalités. C’est la maîtriser sans la bloquer, ni la brusquer.

– Et plus que tout, le chemin d’idéaliste demande d’avoir foi en la vie, base d’une détermination inébranlable pour reconnaître les impasses et les erreurs, toujours se relever après les chutes, garder l’humour et une certaine légèreté.

Alors les choses deviennent plus simple, en commençant par soi-même…

Bon chemin aux idéalistes.

1 Michel Lacroix, Avoir un idéal, est-ce bien raisonnable ?, Flammarion, 2007.

2 Martin Hirsch, La lettre perdue, Stock, 2012.

[3] Luc Bigé, La voie du Héros, Ed. Les éditions de Janus, 2010.

Engagez vous ou réengagez vous ! Mais pourquoi et vers quoi ?

Engagez vous ou réengagez vous ! Mais pourquoi et vers quoi ?

Deux livres ont inspiré le titre de cet article. Le dernier de Stéphane Hessel 1« A nous de jouer » et celui de Martin Hirsch 2« La lettre perdue ».

Ces deux auteurs se connaissent et ont un certain nombre de points communs intéressants : des liens directs avec la résistance, avec la constitution de la déclaration universelle des droits de l’homme et avec une certaine vision de l’Europe, celle synonyme de paix entre les peuples et les nations, celle de l’engagement pour la liberté, les droits de l’homme, le progrès social, la démocratie. Cette vision positive de l’Europe a trop tendance à être oubliée compte tenu du poids des technocrates et du lobbying installés à Bruxelles. Ces derniers ont détourné l’idéal européen des Hessel, Hirsch et bien d’autres, vers cette europe du libéralisme, du libre échangisme, du culte de la concurrence, du capitalisme rapace…

Pourquoi s’engager ou se réengager ?

Laissons répondre Martin Hirsch en reprenant quelques morceaux choisis de sa mise en garde à un auditoire d’élèves d’une grande école :

3Aujourd’hui vous avez un idéal. Vous êtes remplis d’énergie, d’enthousiasme, de générosité, de bonne volonté. Vous rêvez d’un monde plus juste, moins cruel, avec moins de pauvres, moins de conflits, moins d’inégalités, moins d’échecs. Vous n’avez pas envie de voir votre environnement se dégrader, la planète se détruire. Vous ne pensez pas que les valeurs matérielles soient supérieures aux valeurs des idées. Le racisme, la xénophobie vous font horreur. Vous ne souhaitez pas que le monde vous échappe. Mais vous savez que vous aurez du mal à trouver une place dans un univers dur, exigeant. Vous avez besoin d’un diplôme, d’un travail, de ressources. Il vous faut convaincre vos professeurs de vos capacités, demain vos employeurs de votre productivité. Votre enthousiasme vous paraît à l’heure actuelle indestructible, éternel, mais le système éducatif et le système économique vont vous faire croire que grandir, c’est vous départir de votre idéal… Aux jeunes on apprend à être réalistes… Mais si ce n’est que cela, c’est catastrophique. Cela revient à former des jeunes vieux… On va vous persuader que le passage à l’âge adulte est le renoncement à votre idéal. De bonnes âmes, dans lesquelles vous avez confiance, vont vous aider à faire cette mue… la plupart seront capables de conserver cette petite flamme en veilleuse pour la ranimer une fois la retraite venue. Dans quarante ou cinquante ans, ils sauront la retrouver, la faire à nouveau grandir. Ils s’engageront comme bénévoles. Une éducation réussie est une éducation qui cultive l’idéalisme qui prépare les jeunes à changer la société, et les encourage à vouloir transformer le monde, tout en les dotant des clés pour le faire bouger de l’intérieur. Il ne s’agit pas d’attendre d’avoir les cheveux blancs pour renouer avec ses idéaux de jeunesse. Cette flamme de l’engagement doit être entretenue… Une politique de jeunesse… doit s’adapter aux aspirations des jeunes. Non pas de manière démagogique, mais en se livrant à un exercice critique, en les aidant à débusquer leurs propres contradictions, en respectant leurs idéaux, en s’interrogeant sur leur pertinence. En cherchant la pertinence de l’impertinence. En refusant l’indifférence à la différence. Vous serez vite confrontés à de cruels dilemmes : vous mettre au service de votre idéal, c’est prendre le risque d’être considérés comme des marginaux, c’est peut-être compromettre vos chances de réussir, de faire carrière… Les alarmes de la raison lutteront contre les sirènes de la passion… Et si vous résistiez ? Et si grandir, ce n’était pas se départir de son idéal, mais au contraire se donner les moyens de le faire vivre ?… Je vous propose une autre manière de grandir. Cultivez votre idéal… Construisez votre carapace, non pas pour faire preuve de dureté à votre tour mais au contraire pour vous protéger des sourires narquois, de la condescendance… Ne vous trompez pas de naïveté. Ils appelleront naïveté le fait de croire en un monde meilleur, plus solidaire. Vous leur opposerez la naïveté de ceux qui pensent que le monde peut survivre sans engagement. Gardez vous toutefois de penser qu’on peut bousculer l’ordre établi sans connaître les rouages de la machine, sans s’y intégrer. Refusez la facilité de l’incantation. Et pensez à ce vers de Paul Eluard : « Rien jamais ne disparaîtra plus de ce qui mérite de vivre ».

Vers quoi s’engager ?

Pour faire simple, Martin Hirsch propose dans d’autres parties de son livre deux axes d’engagements en tant que français : celui d’une avancée de l’Europe vers la création d’une Europe fédérale et en parallèle, celui d’un programme national d’engagement basé sur le service civique (cent jours d’engagement pour tous et pour chaque période de cinq ans) et le volontariat.

Stéphane Hessel lui promeut une réforme de la pensée basée sur la compassion qu’il définit comme la capacité à se mettre à la place de l’autre, à faire preuve de solidarité, d’empathie, un nouveau vivre ensemble politique qui permette l’établissement d’une société mondiale respectueuse de tous ses sujets et de la nature.

Je propose d’aller encore plus loin, un acte encore plus hardi !

Le service civique et le volontariat, tels que proposés par Martin Hirsch, seraient le socle d’une éducation, d’un apprentissage du vivre ensemble avec compassion avec tous les êtres et la planète dans sa diversité. L’Europe pourrait être le champ d’expérimentation d’un retour progressif des personnes à la campagne. Pourquoi la campagne ? Car le temps de la vie citadine, basée sur la profusion matérielle et énergétique, nous est compté. Car la terre est malade et a besoin d’hommes et de femmes qui l’aiment et reviennent s’occuper d’elle. Car les Européens sont à l’origine de ce qui n’est pas acceptable et accepté (je vous laisse faire la liste) et pourraient les premiers faire volte face et montrer l’exemple vers ce que Pierre Rabhi appelle une sobriété heureuse. Je ne me fais pas d’illusion, il y aura peu de candidats. Peu importe. Il y en aura toujours suffisamment pour ne pas baisser les bras, suffisamment pour que tout idéaliste ne se sente pas isolé, suffisamment pour se dire que cela vaut le coup de se battre pour un tel idéal et s’engager.

Pour finir, je reviens vers un des idéaux défendu par Martin Hirsch : l’engagement vers une Europe fédérale. Qui se traduirait par un gouvernement européen, une seule armée européenne, une seule voix pour représenter l’Europe dans les instances internationales, une seule voix pour défendre les industries et les agricultures de chaque nation européenne… Si un tel engagement a été cohérent à la sortie de la seconde guerre mondiale et pendant les trente années qui ont suivi, est-il encore d’actualité ? Qui servirait-t-il ? Les intérêts européens au détriment des intérêts des autres pays ? L’industrie d’un tel face à l’industrie d’un autre ? Le maintien de notre modèle de vie pour une ou deux générations de plus ? La poursuite voir l’accélération du 4libéralisme débridé, ivre de corruption et de biz ?

Ne faudrait-il pas d’abord voir l’intérêt global de la terre et de tous ses habitants ?

Tant que les hommes du monde entier ne sont pas encore tous parqués dans le troupeau égo-grégaire du divin marché, ne faudrait-il pas se concentrer sur l’émergence de groupes humains prêts à changer d’ère (compassion), aire (vision holistique du monde) et air(écologie) ?

Je veux bien bosser bénévolement avec Martin Hirsch et d’autres pour aider au développement du service civique. Mais en priorité dans les campagnes et pour des projets agro-écologiques, car le temps nous est compté.« 5Quelle planète laisserons-nous à nos enfants, quels enfants laisserons-nous à la planète ? »

1 Stéphane Hessel, A nous de jouer, Autrement, 2013.

2 Martin Hirsch, La lettre perdue, Stock, 2012.

3 Martin Hirsch, op. cité, p.75 à 79 (extraits choisis).

4 Dany-Robert Dufour, Le divin marché, Denoël, 2007.

5 Question à laquelle tente de répondre l’école des Amanins implantée dans un centre agro-écologique dans la Drome.